Le Deuil : modèles, symptômes et accompagnement — guide complet pour comprendre et traverser la perte
Deuil non linéaire : repères DSM-5-TR, apports neuroscientifiques et outils concrets (auto-soins, rituels). Un guide pour traverser la perte et accompagner un proche. 🌿
Le deuil n’est pas linéaire. Ce guide rassemble les modèles utiles, les repères DSM-5-TR du deuil prolongé (Prolonged Grief Disorder), des apports neuroscientifiques et des outils concrets (auto-soins, rituels laïques) — pour soi et pour accompagner un proche. 🌿
D’où vient le mot « deuil » ? ✍️ (étymologie)
Le mot deuil vient de l’ancien français duel, issu du latin dolor (« douleur »), possiblement via le bas latin dolus / cordolium (« douleur du cœur »).(Cnrtl) Ainsi en français le mot deuil désigne à la fois le processus que la douleur de celui-ci.
C. S. Lewis décrit le deuil comme un chemin irrégulier fait de retours en arrière, de brusques accalmies puis de replis douloureux ; on n’en “sort” pas d’un coup, on apprend à y marcher.
« Le chagrin est comme une longue vallée… une route sinueuse » (“Grief is like a long valley… a winding road.”) — C. S. Lewis
Pourquoi (re)parler du deuil aujourd’hui ? 🌿
Expérience universelle qui engage le corps, la psyché et le lien social, le deuil s’exprime aujourd’hui dans des rituels plus intimes et une visibilité sociale moindre. D’où l’intérêt d’une lecture multidisciplinaire (psycho, neuro, somatique, rituels) plutôt qu’un modèle unique en « étapes ». Les données récentes rappellent qu’il n’existe pas de trajectoire standard.(OUP Academic)
Le deuil est une expérience singulière – propre à chaque individu.
Mickaël CHALOPIN
Des modèles pour s’orienter (sans s’y enfermer) 🧭
Les 5 étapes de Kübler-Ross
Elisabeth Kübler-Ross (psychiatre, pionnière des soins palliatifs) — Son livre On Death and Dying (1969) a popularisé les « cinq étapes » (déni, colère, marchandage, dépression, acceptation). Influence majeure sur l’humanisation de la fin de vie, mais ses « étapes » sont aujourd’hui vues comme un repère non linéaire. Elisabeth Kübler-Ross Foundation
1️⃣ Déni 2️⃣ Colère 3️⃣ Marchandage 4️⃣ Dépression 5️⃣ Acceptation

« La réalité, c’est que tu porteras le deuil toute ta vie ; tu apprendras à vivre avec. » (“You will grieve forever; you will learn to live with it.”) — E. Kübler-Ross
Les 4 tâches de Worden
J. William Worden (psychologue, Harvard Medical School) — Propose quatre tâches du deuil : accepter la réalité, éprouver la douleur, s’adapter (interne/externe) et maintenir un lien durable tout en poursuivant sa vie ; un cadre actif et individualisé du coping. Hospice Foundation of America
1️⃣ Accepter la réalité de la perte 2️⃣ Éprouver la douleur du deuil 3️⃣ S’adapter au monde sans la personne décédée (interne/externe) 4️⃣ Trouver un lien durable avec le défunt tout en poursuivant sa vie.

Le modèle à double processus de Stroebe & Schut
Margaret Stroebe & Henk Schut (chercheur·e·s, Utrecht University) — Auteurs du Modèle à double processus (1999) : l’adaptation oscille entre des pôles perte et restauration ; cette oscillation est considérée comme saine. (Mise à jour et validations ultérieures.) Universiteit Utrecht

💔 Orientation vers la perte
Face intérieure et émotionnelle du deuil — se relier, ressentir, se souvenir.
😢 Accueillir la douleur, les larmes, la nostalgie
🕯️ Revivre des souvenirs, parler du défunt
🫶 Se relier à l’attachement, aux émotions
🙏 Donner du sens à la perte
🧭 Objectif : intégrer l’absence et reconnaître la réalité de la perte.
⚖️ L’oscillation : un mouvement sain
🌊 L’adaptation alterne entre les deux pôles, selon les besoins du moment.
Trop de perte = risque d’épuisement émotionnel 😞
Trop de restauration = risque d’évitement 💨
👉 L’équilibre vient de cette danse entre souvenir et renouveau.
🌱 Orientation vers la restauration
Face active et constructive — se réadapter, renouer avec la vie.
🔄 Reprendre des routines et de nouveaux rôles
💬 Retisser du lien social
💪 Explorer des projets, un nouvel équilibre
🌻 Redéfinir son identité et ses priorités
🧭 Objectif : reconstruire sa vie sans effacer le lien.
Les liens continus de Klass, Silverman & Nickman
Continuing Bonds / « Liens continus » (Klass, Silverman, Nickman, 1996) — Plutôt que de « couper » le lien, on l’intègre et on le transforme dans la vie quotidienne (pratiques, symboles, récits). Ouvrage collectif de référence. Routledge Taylor & Francis
🔗 Le lien affectif se reconfigure (de l’extérieur ➜ vers l’intérieur). 🧠 Aide à donner sens à la perte et à l’histoire partagée. 🛡️ Protège de l’isolement, soutient la résilience.

🧠 Comment se manifestent les liens continus ?
Le modèle des Liens continus (Klass, Silverman & Nickman, 1996) montre que le lien avec le défunt ne disparaît pas : il se transforme et se manifeste de plusieurs façons, à la fois intérieures, symboliques et comportementales.
- 💞 Affectif — sentir la proximité du défunt, parler intérieurement, gratitude — 😌 Un apaisement progressif plutôt que “oublier”.
- 🧩 Cognitif — récits familiaux, photos, mémoire partagée — 📜 Transmission de valeurs et sens donné à la perte.
- 🕯️ Comportemental / Rituel — rituels (dates, lieux, objets-souvenirs) — 🎗️ Actions dédiées (bénévolat, projet au nom du défunt).
- 🌱 Identitaire — poursuivre une œuvre ou un engagement — 🧭 Intégrer le lien à son parcours de vie.
🌊 Équilibre à viser (et écueils)
- ⚖️ Intégration souple du lien + poursuite de la vie.
- 🚩 Écueil 1 : fusion qui empêche l’investissement du présent.
- 🚩 Écueil 2 : rupture forcée qui entrave le sens et la mémoire.
- ✅ Boussole : le lien évolue, la vie continue.
🧰 Pistes pratiques (accompagnement)
- ✍️ Écriture de lettres au défunt, journal de souvenirs.
- 📸 Album commenté : choisir des photos, raconter les scènes.
- 🌼 Rituels personnalisés (marche, musique, geste symbolique).
- 🗣️ Dialogue intérieur guidé en séance (place vide, chaise).
- 🤝 Partage avec proches : faire circuler récits et valeurs.
Quand parler de deuil prolongé ? (DSM-5-TR) 🩺
Chez l’adulte, le trouble du deuil prolongé (Prolonged Grief Disorder) est considéré après 12 mois (et 6 mois chez l’enfant/adolescent) avec désir intense ou préoccupation envahissante pour le défunt et retentissement fonctionnel marqué. Ces repères n’enlèvent rien à la normalité d’un chagrin profond ; ils servent à repérer quand solliciter un avis spécialisé.
Repères d’orientation : durée + souffrance/handicap + comorbidités (dépression, TSPT ) → avis spécialisé recommandé.
Quatre temps fréquents du deuil (revisités) ⏳
À vivre sans ordre imposé, avec des allers-retours (oscillations) selon l’histoire de chacun.(dspace.library.uu.nl)
1) Choc & sidération
Le cerveau tarde à « mettre à jour » l’attachement : une partie de nous continue de prédire la présence du défunt (d’où incrédulité, images intrusives).(ResearchGate)
Pour soi : s’hydrater, routine minimale, écrire (journal/lettre), marcher dehors.
Pour un proche : présence silencieuse, écoute active, aides concrètes (repas, appels).
2) Colère, protestation & marchandage
Énergie de lutte (« Pourquoi nous ? »), scénarios si seulement… — souvent alternant avec la tristesse.
Pour soi : expression non-destructrice (écrire, bouger, art), sommeil, mindfulness/MBCT.(Deep Blue Repositories)
Pour un proche : valider la colère, proposer un groupe ou une parole.
3) Tristesse profonde & retrait
Pleurs, fatigue, perte d’appétit : temps purgatif de la douleur.
Pour soi : rituels simples (album, bougie, arbre), repas faciles, tâches atteignables, respiration/yoga doux.
Pour un proche : soutien dans la durée (dates anniversaires), vigilance si désespoir prolongé.
4) Acceptation, réorganisation & sens
Reprise de repères, sans oublier : on transforme le lien (continuing bonds) et on réinvestit la vie.(Taylor & Francis)
Pour soi : micro-rituels, engagements porteurs de sens (bénévolat, nature).
Pour un proche : reconnaître les progrès, aider à de nouvelles responsabilités.
Ce que disent les neurosciences & la médecine 🧠❤️
- Attachement & anticipation : des études d’imagerie montrent, lors d’indices liés au défunt, une activité cingulaire et, chez certains endeuillés avec douleurs persistantes, une implication du nucleus accumbens (réseau de récompense — « reward center »).
- Somatique : le deuil est associé à une inflammation (🧬 IL-6 et IL-1) et à des perturbations du cortisol ; le risque cardio-vasculaire est transitoirement accru (jours/semaines suivant un décès proche). D’où l’importance de soigner le corps (sommeil, alimentation, mouvement) et la surveillance si facteurs de risque.
Approches d’accompagnement validées 🧰
- Psychothérapies ciblées : CGT — Thérapie du deuil compliqué (Complicated Grief Therapy) — et GF-CBT — Thérapie cognitivo-comportementale centrée sur le deuil (Grief-focused Cognitive Behavioral Therapy) — montrent des bénéfices supérieurs/équivalents à d’autres approches selon des essais contrôlés. Pour un trouble du deuil prolongé (PGD), elles sont de premier choix.
- Thérapie cognitive basée sur la pleine conscience / MBCT (Mindfulness-Based Cognitive Therapy) : utile pour la régulation émotionnelle et certaines ruminations ; parfois légèrement moins durable que GF-CBT sur les symptômes cœur du PGD.
- Somato-psycho-éducatif : respiration, marche consciente, yoga doux, danse libre ; rituels laïques (bougie, lettre, arbre, marche commémorative).
- Rituels laïques : bougie, lettre, arbre, marche commémorative — matérialiser le lien apaise (cohérent avec le cadre « liens continus »).
« Ce que l’on a aimé ne peut jamais se perdre. » (“What we have once enjoyed we can never lose.”) — H. Schut & M. Stroebe)
Cadre socio-culturel 🕯️
Nos rituels collectifs se sont raréfiés ; chacun invente ses formes de sens et de solidarité (maisons de deuil, groupes pairs, cérémonies profanes). Les professionnels gagnent à valider les pratiques signifiantes locales plutôt qu’à imposer un canevas unique.(dspace.library.uu.nl)
À retenir ✅
🌊 Processus dynamique : autoriser l’oscillation perte/restauration.
🫁 Prendre soin du corps : sommeil, alimentation, mouvement.
🤝 Soutien social : présence, groupes, rituels.
FAQ ❓
Le deuil a-t-il une durée « normale » ?
Non. Les trajectoires varient ; PGD est envisagé quand la souffrance et l’entrave durent au-delà des seuils DSM-5-TR.(American Psychiatric Association)
Doit-on « oublier » le défunt pour aller mieux ?
Non. Les liens continus (symboliques, narratifs, rituels) sont sains et adaptatifs.(Taylor & Francis)
La méditation suffit-elle ?
Aide utile ; pour un PGD, les essais favorisent plutôt une Thérapie Cognitivo-Comportemantale centrée sur le deuil/CGT.(JAMA Network)
Pour aller plus loin sur NezSens 🔗
Art-thérapie (écriture, collage, mouvement, rituel laïque)
Théorie de l’attachement (ancrer l’oscillation perte/restauration)
Résilience (reconstruction & sens)
Prendre soin de soi n’est pas un luxe en période de deuil. 👉 Réserver un accompagnement NezSens (séance individuelle pour vous aider à créer votre propre rituel).
Références & notes 📚
- C. S. Lewis, Journal de deuil (A Grief Observed), 1961.
- E. Kübler-Ross & D. Kessler, On Grief and Grieving, 2005.
- M. Stroebe & H. Schut, Modèle à double processus d’adaptation au deuil (Dual Process Model), 1999–2010.
- American Psychiatric Association, DSM-5-TR — Prolonged Grief Disorder (PGD).
- Worden J. W., Conseil et thérapie du deuil (Grief Counseling and Grief Therapy) — Modèle des 4 tâches.
- Klass D., Silverman P. R., Nickman S. L., Liens continus (Continuing Bonds), 1996.
- O’Connor M. F., « Le désir persistant de l’être perdu active le centre de la récompense » (“Craving love? Enduring grief activates brain’s reward center”), NeuroImage.
- Mostofsky E. et al., « Risque d’infarctus du myocarde aigu après le décès d’un proche » (“Risk of Acute Myocardial Infarction after the Death of a Significant Person”), Circulation.
- Essais randomisés : Shear K. et al., JAMA (2005) ; Shear K. et al., JAMA Psychiatry (2014) ; GF-CBT vs MBCT, JAMA Psychiatry (2024).
- Revues inflammation/cortisol chez les endeuillés (IL-6, CRP, cortisol) — programme MIDUS (Midlife in the United States).


